Préface
« La poésie
se dit et s'entend :
elle est réelle.
Et à peine je dis
« elle est réelle »
elle se dissipe.
Est-elle ainsi plus réelle ? » écrit Octavio Paz.
Étoffe poétique ? labyrinthe psychique ? Cahier de mémoires ? Essai dialectique ? Des Compositions s’écrit, se dit, se dissipe dans une quête du réel, mais depuis un tombeau. Jean-Pierre Santini a conçu un objet littéraire semblable à un vitrail : des pièces visant la transparence, où dominent les nuances du rouge de l’amour et du noir de la mort, quelques bleus marins et surtout un jeu d’ombres et de lumières où la réalité s’échappe sans cesse des mots. L’ensemble de l’ouvrage enchâssé dans un cadre littéraire menaçant étrangement d’éclater sous le poids de la vérité.
Trois Figures : Feu l’auteur, Alice et le Chroniqueur des ténèbres affrontent leur réflexion sur l’enchevêtrement de l’acte d’écriture du narrateur fantôme et des femmes aimées ou désirées qui ont traversé son existence.
Impossible de reposer en paix : de question en question, une femme, Alice, accule le mort à se dépouiller de toute justification sur sa vie amoureuse. Vitrail, réverbérations en chassé-croisé : Alice précipite Feu l’auteur dans la traversée du miroir. Mais du fond de sa crypte, l’écrivain ne s’avoue pas vaincu. Son arme : les mots. Les mots demeurés après lui, ceux de ses romans notamment « fictionnent » et frictionnent la réalité. « Et toi, bien sûr, tu t’es imaginé écrivain. » le raille Alice. A peine celui-ci opère-t-il la tentative de saisir le réel que la tentation de s’arranger avec l’histoire s’avère l’unique moyen de la saisir dans sa complexité. On le sait, le principe du roman s’affirme ainsi : les choses ne sont jamais ce qu’elles ont l’air d’être. Des Compositions invite le lecteur à une mise en abyme, de l’interprétation du réel à sa fiction, puis de la fiction au discours sur la fiction. La vérité irradie ça et là, mais glisse bien vite entre les doigts du lecteur et de Feu l’auteur lui-même. Alice n’est pas la voix de la vérité mais apparaît plutôt comme sa poursuite. Elle tient lieu de réfutation des leurres, des mensonges, de la mauvaise foi. Le Chroniqueur des ténèbres n’en est pas plus le porte-parole. Il est une figure de l’objectivité. Une sorte d’observateur distancié qui rappelle les faits. Là encore le rapport neutre de la réalité ne cerne pas la complexité de la psyché. Qu’est-ce que le vrai, le réel, l’irréfutable ? Serait-ce la Femme impossible à embrasser ?
Un poème achève Des Compositions. Dans ce poème, un vers « J’apprivoise la mort » en exprime sans doute la sève secrète. Au long des échanges entre les différents protagonistes, on entrevoit, peut-être, que Feu l’Auteur, s’il parvient à bâtir les murs, pierre après pierre, peine à construire l’amour, s’avisant, quand l’angoisse de la perte le foudroie, à retirer des briques jusqu’à l’effondrement inéluctable. La présence de la mort est si prégnante dans l’enjeu amoureux, toujours au risque de son terme, que l’écrivain préfère en finir avant la fin. Tuer l’amour, la mère, la mort. S’avançant dans la vie vers la rencontre avec la Grande Faucheuse, l’auteur saisit que son œuvre par laquelle il pensait pouvoir l’endormir à coups de mots, de phrases, de récits, s’avère un faux espoir. Elle seule est la réalité intangible. Que fort du pouvoir du dire, on se nomme « Nimu », « Personne » ou qu’on se mêle à celle qui a la science de l’au-delà, le féminin, Alice, en quête d’éternité, pour créer « Nimal », l’union duale reste un mot et l’animal n’en n’est pas moins voué à la décomposition. L’écrivain au tombeau serait-il une ultime pirouette des mots qui n’ont pas renoncé à tromper la mort… jusqu’à la fin ?
L’on peut tenter une épitaphe à l’aune des paradoxes de l’âme humaine exacerbés par le chemin d’écriture : En Des Compositions, ci-gît Feu l’Auteur dont la flamme brûle encore.
Anna-Maria Celli
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