Alice aux non-lieux d'une île morte -roman

Couverture

Extrait

L’auteur en question avait nommé « Alice », un personnage de femme.

Alice explorerait l'espace.

L'intrigue se nouerait au fur et à mesure. Personne, pas même l'auteur, ne devait connaître la suite des évènements.

Au commencement donc était Alice insérée au fil des premiers mots dans un labyrinthe végétal où elle dépose la trace subtile de ses pas. Elle va sans savoir où, car rien ne lui est indiqué. Par endroits, des cistes calcinés entravent son chemin, accrochent le tissu de sa robe, égratignent ses bras.

Les horizons se sont perdus, absorbés par une plaie béante d'où s'évade la lumière.

A-t-elle le choix ?

L’auteur en question imagine sa souffrance. Il la voit courir comme une folle et soliloquer dans un silence vaste qui l'envahit lui-même.

Alice s'égare dans des non-lieux, des déserts glacés où elle décèle de délicates reptations sous l'herbe rare, sensible comme un épiderme. Des faunes minuscules résistent par endroits à l'absence de lumière. Elles cheminent sous la roche dissoute et soulèvent parfois d’impercep-tibles poussières qui retombent en dansant dans les clartés du jour.

Prendre tel chemin où tel autre, quelle importance puisque le temps s’est arrêté, qu’elle ne sait plus rien, qu'elle porte en elle une pensée sans objet.

L'auteur en question imagine qu'elle éprouve l’impérieux besoin d’aller, de se déplacer incessamment, d’imprimer au sol la trace éphémère de ses pas comme une écriture blanche promise à disparaître à l'aube d'une autre page.

Tout n’est plus que cendres désormais. Une auréole figure un soleil livide dans le ciel obscurci. Le temps s'évade. Le pays est plongé dans une pénombre légère, accompagnée de crépuscules brefs, de nuits lourdes et vivantes comme des corps enceints. Il n'y a guère que les mots pour naître encore de ce monde.

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Article de Anna-Maria Celli

 

« Entraînée par la curiosité elle s’élança sur ses traces à travers le champ, et arriva tout juste à temps pour le voir disparaître dans un large trou au pied d’une haie. »

Lewis Caroll

Ce n’est pas au pays des Merveilles, à l’instar de l’Alice de Lewis Caroll, que sombre et se relève le personnage homonyme de Jean-Pierre Santini, mais sur des terres de non-lieux.

Aux non-lieux d’une île morte qui nous offre ses rudes paysages tout droit tirés de l’imaginaire des Enfers. Un dédale souterrain à ciel ouvert, de roches dissoutes, de cendres, où le temps s’est arrêté.

Affolée, terrorisée, seule, Alice court, hurle, unique artère palpitant de vie au cours des arêtes déchiquetées du tableau hostile, hanté par les spectres. La végétation étouffe ses cris. En quête de l’amour disparu, elle perd ses mots. Il ne lui reste que le mouvement du corps comme espérance, encore marqué du fer du désir. La soif brutale de l’homme, part manquante d’Alice. Est-il ici ou là, vif ou mort, dissimulé dans l’une de ces tombes granitiques de la montagne ? Est-il fantôme errant du monde invisible ?

Mais ne s’était-il pas déjà mis en marche vers la mort de son vivant, lorsqu’il était entré dans le silence, les clartés du silence ? Combien de fois Alice n’avait-elle pas, d’un baiser, réveillé l’amant de cuir et de cuivre, couché au bois dormant ? Dernier couple du hameau de pierre, elle et lui rentraient à la maison, sur l’éperon rocheux, dont l’extrémité versait dans le turquin de la mer, « un pays intérieur… où l’on marche comme au désert… un pays comme l’envers d’une image au fond du regard où glisse la lassitude, mais qui palpite encore d’un rêve inachevé. »

Telle l’obstination de la vie, habitée par une mélodie intime, Alice se fait la figure de proue d’une confiance insensée. Le regard lancé vers une présence qu’elle espère, dans l’invisible, de l’autre côté de la mer.

Avec l’irrésistible chant de Jean-Pierre Santini pour fil d’Ariane, nous emboitons le pas à Alice entre les ombres et les reflets d’une lumière aveuglante. Ravis par le poème en prose, d’un fragment à l’autre de sa parole archipel, nous traversons une île minérale, verticale, qui semble s’effriter à notre passage. La verve hypnotique de Jean-Pierre Santini efface les frontières entre les vivants et les morts et l’on ne sait si les habitants hallucinés de l’île ne sont pas d’eux-mêmes, les propres hallucinations. Or, en dépit des lignes de force des images faites de roche, de sel et des feux torréfiants du soleil, le texte est éventré par la présence d’Alice, couverte de sang et de couleurs. Présence avide dans le vide, elle s’affirme comme l’échappée belle du récit, le cœur battant de l’île, malgré tout.

                                                                             Anna-Maria Celli

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